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BROUILLY (1903 – 1938)

 Lucien Rebatet est né le 15 novembre 1903 à Moras, dans la Drôme. « Mon père était notaire à Moras. De son côté, ascendances entièrement dauphinoises. Du côté de ma mère, née Tampucci, ascendances poitevines, parisiennes et italiennes. Bourgeois et petits-bourgeois dans les deux branches ». Il se reconnaît peu dans cette origine : « Physiquement, je ne suis à l’aise que dans le Midi, et je déplore que mon patelin natal, où j’ai conservé une maison (bien que je m’y ennuie horriblement), ne soit pas situé 100 ou 150 km plus bas. Mais intellectuellement, je suis très loin des Méridionaux français. Mes vrais compatriotes, chez qui je me retrouve des affinités de terroir, sont Berlioz, né à 25 km de mon pays, et surtout le Grenoblois Stendhal. » Il a une sœur, Marguerite.

Il fait ses « études secondaires à Saint-Chamond chez les Pères Maristes. Années d’exil moral et physique dans un pays affreux, un cléricalisme que j’abhorrais déjà, une discipline féroce, qui me fut toujours intolérable. Le régiment, le bagne m’ont été légers en comparaison. Années éclairées seulement vers la fin par la découverte de la poésie, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine ». Il obtient son baccalauréat en 1921 et entreprend une licence de philosophie à Lyon puis à la Sorbonne. « Vie parisienne d’étudiant pauvre (pion à l’Ecole Bossuet, rue Guynemer), mais totalement libre, se cultivant frénétiquement, sans aucun programme, avec 2 ou 3 compagnons élus. Deux années et demi très heureuses, les plus riches de mon existence ».

Le 28 septembre 1923 : la nuit de Brouilly. Un ami de Rebatet, François Varillon, et Simone Chevallier, vivent une expérience mystique au sommet de la colline de Brouilly, près de Lyon. Ils s’aiment, mais décident de consacrer leur amour, c’est-à-dire de rester chastes et d’entrer dans les ordres.

En 1924, Rebatet à Paris commence à lire L’Action Française et affirme ses positions fascisantes : « [je n’ai] jamais eu dans les veines un seul globule de sang démocratique […] Nous souffrons depuis la Révolution d’un grave déséquilibre parce que nous avons perdu la notion de chef… J’aspire à la dictature, à un régime sévère et méritocratique » (Les Décombres, p. 20).

Le 6 janvier 1925, il rencontre pour la première fois Simone Chevallier. En 1926, diktat de Rollet, le confesseur jésuite de François, qui exige la séparation des « amants célestes » Lucien et Simone deviennent alors amants, et se reverront régulièrement jusqu’en 1933. F. Varillon entrera au noviciat jésuite en novembre 1927. Il publiera une quinzaine d’ouvrages religieux, et sera un des fondateurs de Témoignage Chrétien. S. Chevallier, quant à elle, sombrera dans la débauche, se mariera plusieurs fois, dont une avec un prince, publiera plusieurs livres, dont une majorité consacrée à Marie-Madeleine.

            Rebatet effectue son service militaire et s’installe à Paris en 1928. « Je m’abonne pendant mon service à L’Action Française, que je tenais déjà depuis le quartier latin pour le seul journal lisible, quoique fort détaché alors de la politique : une admiration de principe pour Mussolini, le mépris de la ‘‘gauche’’, participation à quelques chahuts de Camelots du Roi ». Il occupe des emplois médiocres dans des compagnies d’assurances. Il débute dans le journalisme en 1929, à L’Action Française, « entré tout à fait par hasard […] pour y tenir une petite rubrique des concerts ». Il s’occupe des rubriques musicale et cinématographique et devient François Vinneuil (en hommage au Vinteuil de Proust), un des critiques cinématographiques les plus perspicaces et les plus écoutés. Il sera par la suite secrétaire littéraire et côtoiera chaque jour Maurras et Brasillach. Il y restera jusqu’en 1940. En plus de L’Action Française, il entre à Je Suis Partout en 1935 pour des raisons financières, où il deviendra rapidement un journaliste politique de premier plan. Au contact de ses collègues, surtout P. Gaxotte, il devient de plus en plus profasciste, proallemand, antibolchevique et antisémite. Il écrit dans plusieurs autres journaux, « d’autres collaborations alimentaires, ni l’A.F. ni J.S.P. n’étant des journaux riches. J’ai dû écrire dans ma vie environ huit mille articles, sans avoir jamais acquis une réelle facilité dans ce travail. Il m’arrive de peiner encore sur un texte comme aux premiers jours ». Il s’éloignera progressivement de Maurras.

Il épouse en 1933 Véronique Popovici, une roumaine rencontrée à Paris. « Mariage parfaitement heureux. Ma femme a été d’une fidélité et d’une ténacité pour ma défense au-dessus de tout éloge durant mes années de prison ». Ils n’auront pas d’enfants.

En 1936, il entame son premier roman, l’histoire d’un curé marchand de canons, qui n’aboutira pas. En 1937, il commence la rédaction de son grand-œuvre, Les deux Etendards.

 

LA GUERRE (1939 – 1945)

Il est mobilisé en 1939, mais son unité ne combattra pas. En 1940, il se réfugie à Moras où il commence la rédaction des Décombres : « Sitôt rentré de l’armée, à Moras, où ma femme, ma mère et ma sœur se sont repliées, j’entreprends torrentiellement la rédaction de mes mémoires, qui seront Les Décombres, […] ce témoignage sur la fin de la IIIème République et la déroute française ». A l’armistice, il se rend à Vichy, mais refuse de jouer dans les « intrigues de cette cour ridiculement balnéaire » (Les Mémoires d’un fasciste II, p. 53). Il retourne alors à Paris où il reprend sa collaboration à Je Suis Partout, qui obtient alors un immense succès. Il publie en 1941 deux pamphlets antisémites, Les Tribus du cinéma et du théâtre et Le Bolchevisme contre la civilisation.

            En juin, à l’invasion de la Russie bolchevique par l’Allemagne, voyant le nazisme réaliser l’Europe fasciste à laquelle il aspire, il entre activement en collaboration avec l’occupant, via Je Suis Partout, en n’hésitant pas à attiser la haine antisémite et à dénoncer la Résistance : « Au mois de juin, l’entrée des Allemands en Russie m’enthousiasme, lève tous mes scrupules. C’est à partir de ce jour que je deviens vraiment collaborateur, et de l’espèce la plus frénétique. […] Je me situe nettement à la gauche de la collaboration, anticlérical, antivichyste, antisynarchiste. L’homme politique dont je me sens le plus proche est Marcel Déat. »

Les Décombres sont publiés en 1942. C’est « un long pamphlet de 664 pages écrit avec une plume trempée dans le vitriol, [qui] se présente comme des Mémoires autobiographiques dans lesquels l’auteur retrace à la fois son itinéraire de journaliste et de soldat et les événements qui ont mené la France dans le triste état où elle se trouve en 1942 » (P. Ifry), en attaquant tous ceux qu’il estime avoir une responsabilité dans le désastre. Le succès est immédiat : Les Décombres est le Best Seller de l’Occupation, et son auteur une star qui signe des autographes sur les Champs-Élysées : « je suis la vedette de la saison littéraire 1942-43 […] Le Tout-Paris n’est nullement dégoûté par la virulence du pamphlétaire. Il trouve ça épatant, il en redemande. »

Bien qu’après Stalingrad il comprenne que la guerre est perdue, il n’abdique pas son fascisme et continue son rôle de journaliste-collaborateur : « J’ai enfin compris que l’Axe ne peut plus gagner la guerre, mais je crois encore qu’il existe des chances de compromis. De toute façon, nous sommes allés beaucoup trop loin pour reculer » En même temps, il se remet intensément à l’écriture des Deux Etendards – qu’il n’avait jamais abandonnés. Le 18 août 1944, Rebatet est condamné à mort par la Résistance, s’enfuit de Paris avec sa femme et se réfugie à Sigmaringen. Il y passera plusieurs mois avec Céline, et se consacrera aux Deux Etendards.

 

LA PRISON (1945 – 1952)

            Le 8 mai 1945, jour de l’armistice, Rebatet se constitue prisonnier en Autriche. Son procès débute le 18 novembre 1946, en compagnie d’autres journalistes de Je Suis Partout, dont son ami P.-A. Cousteau. Le 23 novembre, Rebatet est condamné à être fusillé au fort de Montrouge. Il est alors conduit au sinistre département des condamnés à mort de la prison de Fresnes où il attendra 4 mois et demi l’exécution de la sentence, les chaînes au pied. Il a réussi à faire entrer clandestinement le manuscrit des Deux étendards et travaille d’arrache-pied pour l’achever avant l’exécution : « Je me remets au travail le 25 décembre 1945, dans ma cellule où je suis seul avec un jeune bandit corse dont j’obtiens le silence en le bourrant de romans policiers » Le travail avance bien : « la vie carcérale est l’idéal littéraire ».

            La nuit du 5 au 6 avril 1947, nuit de Pâques, à la suite de la maladresse d’un gardien, Rebatet est persuadé qu’il sera fusillé à l’aube. Il passe « quelques-unes des journées les plus mouvementées de [son] existence […] avec les alternatives de dégonflage et d’énergie, des minutes de superstition etc… » qu’il retranscrit, pensant laisser un témoignage posthume authentique des dernières heures d’un condamné. (Lettres de prison, p. 169-214)

            Rebatet est gracié le 12 avril 1947 par Auriol. Il avait bénéficié d’une pétition qui comprenait les signatures de Paulhan, Bernanos, Roger Martin du Gard, Roland Dorgelès, Pierre Mac Orlan, Jean Anouilh, Camus, Mauriac, Claudel, Marcel Aymé. Sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité (le bagne). Avant de quitter sa cellule de condamné à mort, il y gravera la célèbre phrase de Stendhal : « Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme. C’est la seule chose qui ne s’achète pas. » Il est transféré à la prison de Clairvaux en compagnie de P.-A. Cousteau, où il finira Les Deux étendards. Ils seront publiés chez Gallimard en 1952, et la conspiration du silence qui vise à éliminer Rebatet de la littérature française en raison de ses écrits politiques se mettra immédiatement en place.

 

LE SILENCE (1952 – 1972)

            Rebatet est libéré de prison en juillet 1952. Il est mis au ban de la société, interdit de séjour à Paris. Il mène alors « une existence demi-misérable » avec sa femme. Pour vivre, il redevient sans conviction le critique cinématographique François Vinneuil en 1953, puis étendra son activité journalistique. Mais il se consacre d’abord à la littérature. Il publie en 1953 chez Gallimard son deuxième roman, Les Epis mûrs, « écrits au courant de la plume en trois mois de l’été 53, et dont je ne me dissimule pas les facilités et les trous. J’ai été amusé par la gageure d’un livre où l’on parlerait de musique comme les musiciens, jamais comme les littérateurs, et le paradoxe d’écrire un livre uniquement sur des souvenirs après 9 ans d’un jeûne musical complet. » Il peut alors retourner vivre à Paris.

            En 1955, son troisième roman, Margot l’enragée, « une sorte de prosopopée de 500 pages, autobiographique, sarcastique, pacifiste, d’anticipation aussi », est refusé par Gallimard. En 1959 il traduit de l’anglais L’Histoire de la musique espagnole de W. Starki, et entame la rédaction d’un quatrième roman, immense, La Lutte finale, « un gigantesque roman à nombreux personnages, essentiellement politique ». Ce dernier roman, régulièrement repris mais qui restera inachevé, devra être mis de côté en 1965 au profit d’une Histoire de la musique écrite en raison de difficultés financières. « N’importe quel autre homme de lettres aurait publié Margot et 1 ou 2 tomes de La Lutte Finale, qui se prête au découpage. Mais je suis très peu homme de lettres. La littérature, c’est pour moi un manifeste comme Les Décombres (mais au nom de quoi manifesterais-je aujourd’hui ?), ou le luxe et la joie, comme Les deux Etendards. Mais depuis que j’ai achevé Les deux Etendards à Clairvaux, je n’ai plus réellement éprouvé cette joie. » En 1969, L’Histoire de la musique est publié chez Robert Laffont, son seul ouvrage salué par la critique, « de loin le meilleur ouvrage en langue française consacré à ce sujet » (Benoist-Méchin).

            Lucien Rebatet vieillit douloureusement, souffre d’une polyarthrite chronique contractée durant ses années de prison, mais ne perd ni sa vivacité ni sa verve. Il meurt d’un infarctus en 1972, âgé de 69 ans, à Moras où il sera enterré : « J’ai beaucoup trimé, pour un modeste profit, avec une résignation coupée d’accès de rage. Je valais mieux, je le sais. Mais n’a-t-on pas conspiré à me fermer le bec ? » Rebatet n’aura jamais renié son fascisme, et aura toujours affirmé être d’abord un écrivain.

            Sauf indication contraire, le citations sont extraites de la Chronologie biographique écrite par Rebatet en 1966, et publiée par P. Vandromme, Rebatet, Editions Universitaires, collection « Classiques du XXe siècle », Paris, 1968, p. 109-122. Les autres principaux outils biographiques, en attendant la publication du journal de Rebatet, sont Les Décombres, les Lettres de prison (à R. Cailleux), Le Dialogue de « vaincus » ; Les Mémoires d’un fasciste. On consultera également P. Vandromme (op. cit.) ; P. Ifry (« Les Deux étendards » de Lucien Rebatet. Dossier d’un chef d’œuvre maudit) et R. Belot, (Lucien Rebatet. Un itinéraire fasciste). Les références exactes sont dans la bibliographie.

 

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