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Menu passe-temps dans la wagon ennuyeux.

 

Ecoutez la parole du Seigneur, de l’Eternel :

         Voici : ma colère s’étendra sur les nouveau-nés dans leurs langes. J’étoufferai le nourrisson sur la mamelle de sa mère. Je le tordrai dans la douleur comme l’osier est tordu dans la main du vannier, et sa mère sera devant ces douleurs, elle tordra ses bras, et elle m’invoquera en se déchirant la gorge. Et les cris de sa gorge ne fléchiront point ma fureur. Et le mal mordra son fils à la cervelle et aux entrailles. Il agonisera longtemps, et je le raidirai dans les bras de sa mère.

         Et ils sauront que je sui l’Eternel, celui qui frappe.

         Mon œil sera sans pitié. Je n’aurai point de miséricorde. Je frapperai l’homme et la femme dans toutes les parties de leur corps d’un fléau incurable. Leur sang s’écoulera en boue et leur chair en pourriture. Le mal rongera leur ventre et leurs seins nuit et jour, comme la dent du rat et le bec de l’oiseau de proie. Le fer taillera dans leur chair, la mutilera, la torturera, mais le mal renaitra au bord de la blessure. Et le mal désorbitera leurs yeux, boursouflera leurs lèvres et leurs langues, rongera leur face, les rendra plus hideux que les bêtes des mauvais songes, et ils exhaleront la puanteur des charniers. Ils appelleront la mort pendant mille nuits et mille jours, mais la mort ne viendra pas. Et quand j’enverrai la mort sur eux, il n’y aura plus entre leur os et leur peau un seul morceau de chair à dévorer pour ma vengeance, une seule goutte de sang pour abreuver ma colère.

         Et ils sauront que je suis l’Eternel.

         Je mettrai l’amour sur les lèvres du jeune homme et de la vierge, j’enflammerai leurs cœurs, je les lierai par tous les liens de l’amour. Et je dessécherai les poumons de la vierge, et je les déchirerai. Et ses lèvres se dessécheront sur celles de son fiancé comme se dessèchent les pétales de la rose coupée. Son sang jaillira à flots pressés de sa bouche. Ses jambes ne la porteront plus. Je l’abattrai dans son sang, aux pieds de son fiancé, blanche et sans souffle.

         Et ils sauront que je suis l’Eternel.

         Je suis l’Eternel, votre Dieu. J’étendrai vos moissons jusqu’aux portes du désert, j’élèverai vos vignes jusqu’au faîte des montagnes, je ferai plier tous vos arbres sous la richesse de leurs fruits. Et les nations périront de faim et de soif devant les moissons et les vignes. Et des hommes entre les hommes brûleront les épis des moissons et le vin des vignes. Et les nations s’écrieront : « Insensés, que faites-vous, quand la faim est comme un loup aux dents aigües dans nos ventres, et la soif comme un charbon brûlant dans nos bouches ? » Mais ces hommes ricaneront, et le blé et le vin s’en iront en fumée. Et les hommes et les femmes et les enfants des nations se coucheront pour mourir dans la soif et la famine.

         Et ils sauront que je suis l’Eternel.

         Je suis l’Eternel, celui qui juge. Je foulerai le pauvre, le probe, je l’écraserai sous sa mère. Et il s’efforcera sans fin et ne se redressera jamais. Et mes prêtres mettront leur pied sur sa nuque pour le briser. Ils mettront leur pied sur sa bouche pour éteindre jusqu’à ses gémissements. J’engraisserai dans son or le prévaricateur, le voleur, je l’érigerai sur le sommet de la richesse et de la gloire. Je l’établirai à la tête des peuples, et les peuples se prosterneront sur la trace de ses pas. Ils baisseront la trace de ses pas, leur multitude s’unira pour chanter ses louanges. Mes prêtres assemblés allumeront leur encens devant sa face.

         Et vous saurez que je suis l’Eternel.

         Ma droite est terrible et mon courroux n’aura point de bornes. J’attiserai entre vous, entre vos pères et vos fils, et les fils de vos fils, des querelles sans mobile et sans terme. Je dresserai vos nations les unes contres les autres, comme les fauves du désert et les vautours des rochers. Et la guerre sera sur vos nations, et elle dévorera des millions d’hommes. Et elle frappera les adolescents dans leur fleur et les hommes dans leur force, et ils pourriront par millions, leurs cadavres entassés s’élèveront comme des murailles. Et le fer et le feu disperseront leurs membres, hacheront leur chair, consumeront jusqu’à leurs os. Et leurs mères et leurs frères et leurs épouses ne distingueront pas leurs cendres de la poussière des champs. Et ils lèveront leur face vers moi, en disant : « Seigneur, il n’y avait aucune raison à ce massacre ». Je ferai couler plus de sang que les fleuves ne roulent d’eau à la mer. Les nations en seront noyées et la paix ne renaitra point entre elles. Je ferai passer en elles le vent de ma fureur. Je brandirai l’épée du grand carnage. Le feu tombera du ciel et il jaillira de la mer. Et le feu volera, et le fer rampera, et le feu et le fer voleront et ramperont ensemble. J’exterminerai le bon et le méchant, parce que je veux exterminer le bon et le méchant. Et toute chair saura que moi, l’Eternel, j’aurai tiré mon épée de son fourreau. La guerre anéantira les villes comme elle anéantira les armées. Les villes s’effondreront en poussière et leur sol sera retourné par la charrue de ma violence. Les époux périront par le fer des batailles, et les veuves périront par le feu des villes. Et sur la tombe de leurs pères, les fils pourriront à leur tour. Les vaincus périront de leur défaite et les vainqueurs de leur victoire. Et il y aura plus de cadavres que de cailloux sur la surface de la terre.

         Et vous saurez que je suis l’Eternel, votre Dieu.

 

- Ce n’est pas mal, Michou ; mais ton bon Dieu est encore bénin. Le vrai était beaucoup plus inventif. Il obligeait les pères et les mères à manger leurs petits enfants.  

 

Lucien Rebatet, Les Deux Etendards, Paris, Gallimard, 1952, p. 1213-1215.

 

 

 

 

 

 


 

 

"Mais il est vrai aussi que les hérésies me charment. Et tandis que je n’ai jamais pu me visser plus de huit jours dans le crâne les preuves classiques de l’existence du Très-Haut, je ne me fatigue pas de dresser le catalogue des innombrables solutions que trois siècles ont proposées au casse-tête de l’Homme-Dieu ; les adoptiannistes pour qui Jésus a reçu l’esprit divin lors de son baptême, mais n’est devenu Dieu qu’après sa résurrection ; les docètes, qui veulent que Jésus soit un corps astral, un fantôme n’appartenant pas à notre monde pondérable ; les aphtartodocètes qui cherchent à écarter l’insoutenable et scandaleuse notion d’un Dieu souffrant, et font un Christ doté d’un corps pareil au nôtre mais jouissant d’une surnaturelle insensibilité ; les origénistes qui ne peuvent pas s’empêcher de nuancer l’égalité du Père et du Fils ; les sabéliens, les subordinationnistes, les ariens qui soutiennent que Jésus n’a été qu’un homme inspiré par Dieu, le plus grand des hommes créés ; les nestoriens qui donnent au Christ deux natures, humaine et divine, mais les séparent totalement et enseignent que l’homme seul est mort sur la croix ; l’évêque Photin qui invente un Verbe à extensions, Raison impersonnelle de Dieu dans la première extension, mais devenant fils de Dieu dans la seconde, pénétrant ainsi l’humanité de Jésus jusqu’à en faire une espèce de Dieu ; les monophysites, qui acceptent la nature humaine du Christ, mais enseignent qu’elle a été absorbée par sa nature divine ; les monothélites qui disent qu’il n’y a eu dans la nature humaine du Christ d’autre volonté que celle de Dieu, que son corps était un instrument du Tout-Puissant…

J’avoue que ces antiques folies me régalent. Les historiens orthodoxes que j’ai lus m’invitent à y voir une grande preuve de la Vérité qui a triomphé de tant d’assauts. Mais de quelle Vérité s’agit-il, puisqu’elle n’existait pas, qu’elle n’était pas écrite nulle part, qu’il a fallu cinq siècles de malaxation pour élaborer le dogme trinitaire – une théorie que l’on aurait triturée de Jeanne d’Arc jusqu’à nos jours – que ce dogme n’a été créé, les trois quarts du temps, que grâce aux hérésiarques plus inventifs et plus agiles, les vrais instigateurs de la doctrine ; qu’un saint du IIe siècle n’avait pas la moindre idée de la consubstantialité, qu’on pourrait établir une liste fort vraisemblable des saints de ce siècle qui auraient été d’affreux hérésiarques cent ans plus tard ? Je vois que la Vérité s’est confondue rapidement avec la plus vulgaire politique, qu’elle en a suivi les hasards, qu’il s’en est fallu d’un cheveu, d’un pape plus ou moins couillu, d’un empoisonnement plus ou moins réussi, d’une bataille gagnée, pour que nous devinssions tous ariens ou monophysites ; que la Croix, le Dieu Trinitaire, le Christ consubstantiel au Père ont gagné par la force, par les soldats, l’argent, la police et la censure, ni plus ni moins que tous les conquérants. Je vois le symbole de Nicée, fruit d’une interminable querelle parlementaire, imposé par un déploiement de gendarmes, d’anathèmes et de bûchers. Je vois les plus grand Pères de l’Église, Jérôme, Ambroise, Augustin, sous les traits de polémistes féroces, de fanatiques impitoyables, réclamant toujours davantage de flics, de juges et de prisons pour le service de leur Dieu. Et je n’ai guère lu que des histoires orthodoxes. À quoi bon lire les autres ? Que pourrais-je souhaiter d’y trouver encore ? Je n’oublie pas les martyrs, leur fermeté, leur grandeur, mais je n’oublie pas non plus les martyrs innombrables des autres partis. Combien d’ariens qui se firent égorger pour défendre leurs Dieu contre l’idée d’une Incarnation qu’ils jugeaient dégradante, impie ?"

 

Lucien REBATET, Les Deux étendards, Paris, Gallimard, 2007, p. 888-890.

 

 

 

 


 

« Les fictions se vident. Les religions sont pareilles à des bassins couverts de beaux reflets, mais qui se lézardent ; l’eau s’écoule petit à petit, un jour il n’y a plus que le vieux ciment et de la vase au fond. C’est une loi de ce monde. il faut savoir vivre sans les reflets. C’est possible, c’est sans doute une autre forme de bonheur. Mais il faut s’éloigner des cloaques, des vieux bassins pourris, ce que nous avons fait, cornedieu ! ».

Michel.

 

 


 

« Deux garçons se succèdent dans ma vie: le premier me chante le ciel, l'amour en Dieu, pour me lâcher à la porte d'une religion encore plus imbécile que la justice. Le second me prêche pendant un an la révolte, le massacre, et quand il a tout démoli, tout retourné, mon magnifique petit furibond me propose les douceurs bourgeoises, une descente de lit pour la vie ».

Anne-Marie.

 


 


            Nous roulions en direction de Montlhéry. Quelques kilomètres après Versailles, un embouteillage inouï nous arrêta tout à coup. Nous n’étions plus en retraite, mais au milieu d’une débâcle sans précédent. Le flux des fuyards vomi de Paris par cinq ou six portes était venu se confondre inextricablement à ce carrefour. Tous les aspects de la plus infâme panique se révélaient dans ces voitures, remplies jusqu’à rompre les essieux des chargements les plus hétéroclites, femelles hurlantes aux tignasses jaunes échevelées se collant dans les trainées de fard fondu et de poussière, males en bras de chemises, en nage, exorbités, les nuques violettes, retombé en une heure à l’état de la brute néolithique, pucelles dépoitraillées à plein seins, belles-mères à demi-mortes d’épouvante et de fatigue, répandues parmi les chienchiens, les empilements de fourrures, d’édredons, de coffrets à bijoux, de cages à oiseaux, de boites de camemberts, de poupées-fétiches, exhibant comme des bêtes devant la foule leurs jambons écartés et le fond de leurs culottes. Des bicyclettes étaient fichées entre les garde-boues. Des enfants  de douze ans étaient partis agrippés aux portières de petites neuf chevaux au fond desquelles s’emmêlaient dix paires de jambes  et de bras. Certains avaient arrimé des lits-cages à leur malle-arrière. Des voitures de deux cent mille francs portaient sur leurs toits, enveloppés dans des draps sales, deux ou trois célèbres matelas de juin Quarante, disparaissaient sous des paquets d’on ne savait quoi ficelés dans des journaux et de vieilles serviettes éponges, pendant le long des garde-boues. Des ouvrières s’étaient mises en route à pied, nu-tête, en chaussons ou en talons Louis XV, poussant deux marmots devant elles dans une voiture de nourrice, un troisième pendu à leur jupes. Des cyclistes étaient parvenus jusque là on ne savait comment, traînant sur leurs vélos leurs échines la charge d’un chameau de caravane. Des gens avaient emportés un peignoir de bain, un aspirateur, un pot de géranium, des pincettes, un baromètre, un porte-parapluie, dans l’affolement d’un réveil de cauchemar, une empilade éperdue, le pillage forcené d’un logis par ses propres habitants.

Cette cohue était enchevêtrée roue à roue, trente voitures de front pressées sur la chaussée, débordant sur les trottoirs, d’autres convois venait de droite et de gauche s’emboutir stupidement les uns dans les autres, stoppés à perte de vue dans un grouillement de visages hagards, de poings brandis, d’uniformes débraillés, de têtes platinées, de blouses multicolores, dans un vacarme de vociférations, de trompes, de moteur vrombissants, de gendarmes épouvantés, battant des bras au milieu du flot d’injures que vomissaient sous leur quatre et cinq galons d’innombrables officiers émergeant jusqu’au ceinturon des portières. Au beau milieu de cette folie, un char de combat, serré de toutes parts, toupillait sous ses chenilles, un lieutenant jailli de la tourelle gesticulait comme un sémaphore, jurant qu’il allait charger et tout défoncer. 

Quelqu’un cria : « Des avions ! ». Les écailles de tôle du monstrueux serpent s’entrechoquèrent dans un fracas accru : « Mais avancez, avancez, sacré nom de Dieu ! On va être mitraillé sur place ». Chacun était prêt dans l’instant à écraser les femmes, à réduire les enfants en bouillie, à déchiqueter sa propre mère pour s’échapper. L’orgueilleux Paris, tordu d’immonde coliques, fuyait au hasard en se conchiant.

 

Lucien REBATET, Les décombres, Paris, Denoël, 1942, p. 424-426.

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